lundi 27 février 2012

Clair-obscur rétinien...

Allez debout là dedans ! Il est déjà 11H tu vas quand même dormir toute la journée avec un beau soleil pareil... Et chlack ! Ouverture brutale du rideau opaque de la chambre... la victime croit devenir aveugle l'espace d'un instant tandis que la lumière inonde sa "piaule d'ado".
Scène classique vécue chaque week-end par un grand nombre de parents ravis punir leur progéniture pour un acte inconcevable "de leur temps" où l'on était dans les champs dès l'aube pour effectuer, sans broncher, moultes corvées aujourd'hui disparues. (Mais bien sûr... Faudrait "pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages !")

Pour cautionner le réveil tardif de notre adolescent persécuté, postulons que ce dernier passionné d'astronomie a veillé très tard dans la nuit pour observer le ciel étoilé... (La saine occupation que voilà !) Ce faisant il a constaté avec émerveillement qu'après quelques minutes d'observation une multitude de corps célestes invisibles au départ semblaient peu à peu se révéler à lui, évoquant dans son imagination fertile quelque voyage intergalactique digne d'un roman de science fiction.

Et donc... notre problème scientifique du jour est le suivant: Comment expliquer une telle sensibilité à la lumière au réveil ? Et Pourquoi voit-on mieux dans l'obscurité après quelques minutes d'adaptation ? (Les deux questions sont liées)




Sensibilité de la rétine... Où, quand et pourquoi ?

Sur ce petit graphique vous pouvez constater que la forte sensibilité à la lumière après un temps passé à l'obscurité n'est pas une vue de l'esprit. Après 8 minutes la rétine centrale est déjà 30% plus sensible, après 45 mn d’obscurité la sensibilité à l'échelle de l'œil est maximale (environ un million de fois plus élevée qu'immédiatement après avoir quitté une zone éclairée).
Ainsi lors de l'ouverture brutale des volets notre vision est 1million de fois plus sensible qu'en conditions d'éclairage normales. La stimulation est alors d'une telle intensité qu'elle provoque, une certaine douleur (exprimée sous forme de bougonnements), une fermeture immédiates des paupières et une enfouissement rapide sous l'oreiller.

Comment expliquer cette différence rétine "centrale" / rétine "périphérique" ?  Deux types de cellules photoreceptrices constituent la couche photosensible de la rétine:
  • Les cônes: De différents types ils permettent de percevoir les couleurs avec une bonne acuité visuelle et son localisés au centre la rétine (macula). Ces cellules atteignent rapidement leur maximum de sensibilité (premier plateau du graphique). C'est la vison photopique, en quelque sorte la vision du cruel prédateur fixant sa proie du regard sous le soleil de midi.
  • Les bâtonnets: Majoritaires en périphérie, sont très sensibles  à la lumière mais ne permettent pas la perception des couleurs ou de formes très distinctes (voir le billet: la nuit tous les chats sont gris). C'est ce type de cellules qui permet la vision nocturne ou scotopique, quand tout devient sombre dans la forêt et que des ombres semblent se déplacer sur les cotés, (le prédateur fait moins le malin ...) 
Vous pouvez tester la différence de sensibilité en repérant une étoile faiblement lumineuse en périphérie de votre champs de vision, puis en essayant de la fixer vous ne la verrez plus.

Photo-isomérisation du rétinal : la clé de la vision !
Dans ces cônes et ces bâtonnets la membrane est déformée et présente des très nombreux replis ou disques (100 pour un cône,  900 pour un bâtonnet). Cette disposition permet d'augmenter beaucoup la surface de membrane qui comprend des éléments enchâssés: les photopigments. Au final un bâtonnet contient 1000 fois plus de photopigments qu'un cône !
Chaque photopigment est constitué d'une protéine (ex: l'opsine) et d'une molécule photosensible: le rétinal. Cette petite molécule colorée dérive directement de la vitamine A que l'on trouve notamment dans le lait les œufs et le foie... (Et hop ! Une bonne dose d'huile de foie de morue pour notre ado !)
 [Exemple de photopigment des bâtonnets : la rhodopsine formée par le retinal (dérivé la vitamine A) et l'opsine (protéine). Selon le photopigment la protéine peut varier]


Métarhodopsines prêtes à l'action !
Lorsqu'un photon percute un photopigment, le rétinal change très vite de conformation, c'est la photoisomérisation. Pour être précis une double liaison au niveau du 11ème carbone du rétinal pivote, on passe d'une forme "cis" à une forme "trans" (comme pour les acides gras ...). Cette transformation permet au rétinal de se détacher de l'opsine qui devient "métarhodopsine" et peut alors aller activer tout un tas de protéines de la membrane jusqu'à la création d'un message nerveux. "Bumbo magique" et autre "power-rangers/transformers" ne sont pas loin !

 Pour pouvoir à nouveau stimuler un photopigment le retinal doit retrouver sa forme cis. C'est cette étape qui prend du temps. Et oui les bâtonnets ne possèdent pas l'équipement enzymatique pour régénérer le rétinal. Le boulot est délégué aux cellules situées derrière les bâtonnets qui forment l'épithélium pigmentaire: la couche la plus externe de la rétine. La logistique plutôt lourde qui va avec cette régénération du rétinal n'est pas encore bien connue et surtout dépasse largement le cadre de ce billet.
[ Une version simplifiée du cycle visuel: L'étape (1) de décoloration, où le rétinal passe d'une forme cis à une forme trans, est très rapide. A l'inverse l'étape (2) est beaucoup plus longue et se déroule notamment dans l’épithélium pigmentaire de la rétine. ]

Toujours-est-il que qu'après un certain temps sans lumière, un maximum de cellules ont leur rétinal régénéré, en conformation cis, prêts à capter la lumière. Bref la rétine est sur les starting-blocks prête à capter le moindre photon. Ainsi l'œil humain peut théoriquement, si tous ses photopigments sont régénérés atteindre une sensibilité de 10-14 W, ce qui correspond à l'intensité lumineuse d'une bougie à 16 km… et au moment idéal pour ouvrir les volets !


Plus d'infos:
Sur le rôle de l'épithélium pigmentaire : http://physrev.physiology.org/content/85/3/845.full.pdf
Sur le cycle visuel : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_visuel
Sur la transduction du signal par la métarhodopsine: Le cerveau à tous les niveaux

Vous pouvez aussi relire ce vieil article sur le même: La nuit tous les chats sont gris 

PS: L'ouverture et la fermeture rapide de l'iris modulent également l'entrée de lumière au niveau de l’œil et participent donc à l'adaptation à l'obscurité (ouverture rapide de l'iris) ou à la lumière (fermeture de l'iris).

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4 comments:

Taupo a dit…

Très sympa!
J'avais vu il y a quelques temps, un épisode de Mythbusters où ils expliquaient que certains pirates pouvaient utiliser un patch sur l'oeil non pas parce qu'ils étaient borgnes mais parce qu'ils leur conférait un avantage en conditions sombres : les pirates soulevaient leur patch et devenaient presque nyctalopes!
http://en.wikipedia.org/wiki/MythBusters_%282007_season%29#Episode_71_.E2.80.93_.22Pirate_Special.22

Jean-Philippe a dit…

C'est vrai qu'avec le soleil éblouissant des caraïbes pas facile d'aller chercher une bouteille de rhum en fond de cale ! En plus sans lunettes de soleil, le patch a peut être un effet préventif sur une potentielle DMLA chez les vieux pirates (dégénérescence maculaire liée à l'âge)...

Science étonnante a dit…

Dans le même genre, un "truc" dont j'ai appris l'existence récemment : alors que les cônes sont plutôt au centre, les bâtonnets sont légèrement excentrés. Donc pour voir des objets très pâles dans un ciel étoilé, il faut "désaxer".
En gros si vous voulez voir la galaxie d'Andromède à l'oeil nu, il ne faut pas essayer de la regarder directement, mais il faut regarder un chouilla à côté pour que ce soient les bâtonnets qui la voient. Apparemment l'exercice n'est pas si simple, mais utile quand on a chopé le truc.
Pour ma part, je n'ai pas encore eu l'occasion d'essayer dans mon ciel parisien bien peu pourvu d'étoiles...

Jean-Philippe a dit…

Effectivement je confirme les bâtonnets correspondent la vision périphérique (la zone centrale, la macula contient surtout des cônes). Le problème c'est que même si la sensibilité lumineuse est bien plus grande grâce aux bâtonnets, l'acuité elle est beaucoup plus faible...
En fait au centre de la macula (dans une zone qui s'appelle la fovéa), il y a quasiment un neurone par cône et donc une résolution maximale. Par contre en périphérie le nombre de neurones chutes (un neurone pour 400 bâtonnets par exemple) ce qui fait chuter l'acuité visuelle (la résolution / ou pourvoir discriminant) bref on voit flou sur les cotés.

Ceci dit je préfère voir andromède floue que pas la voir du tout !

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